Le Salon de l'Auto de Genève est tombé à l'eau à cause de la crise du coronavirus. Cependant, il a été annulé si tard que certains stands étaient déjà prêts et pas mal d'actualité était déjà passée par le bureau de mise en page des magazines. Malgré l'absence du public, les premières ont tout de même été présentées. L'une des plus marquantes : la Koenigsegg Gemera. Une 'berline familiale' avec des portes en élytre et des performances de Bugatti Chiron. Et en plus, c'est une hybride rechargeable, avec une puissance cumulée de quelque 1.700cv !
Hybride rechargeable de 1.700cv
Ces spécifications sont si impressionnantes qu'elles ont pratiquement fait de l'ombre au moteur thermique. C'est pourtant là que l'entreprise suédoise a réellement fait la différence. Les trois puissants moteurs électriques sont en effet assistés par un moteur thermique dont la puissance s'élève à 600cv pour 600Nm de couple. Et il n'a rien d'un géant. Ce n'est ni un V8 ni un V6. Ce n'est même pas un quatre cylindres. Koenigsegg tire cette puissance d'un trois cylindres. 200cv par cylindres (au superéthanol E85) !
Les moteurs électriques actionnent les roues arrière. Toute la puissance du moteur thermique est distribuée aux roues avant par le biais d'un arbre de transmission en fibre de carbone. Pour soulager les bielles, le tout passe d'abord par un convertisseur de couple et ensuite par un différentiel. La Gemera devient ainsi la première Koenigsegg à quatre roues motrices.
Le bloc trois cylindres le plus puissant du monde
“Pourquoi un moteur normal casse à ces vitesses et pas celui de Koenigsegg”Ce moteur en ligne (les trois cylindres sont alignés) génère beaucoup plus de puissance que d'habitude. Bien qu'avec ses deux litres de volume il soit plus grand qu'un bloc trois cylindres moyen (particulièrement populaire dans le segment 1 litre à 1,5 litre), il n'est pas bien grand dans l'absolu. Regardez chez Mercedes, ils disposent d'un moteur profondément retravaillé de deux litres à quatre cylindres pour ses modèles compacts AMG. Il atteint jusqu'à 421cv et 500Nm de couple. En d'autres termes, le bloc Koenigsegg génère la moitié de puissance en plus et 20% de couple en plus, avec un cylindre en moins. Glisser le meilleur trois cylindres turbo dans la comparaison et vous constaterez que le bloc Koenigsegg fait 2,5 fois mieux. Cela mérite des explications.
Pour commencer, les Suédois utilisent le turbo de manière optimale. Ils sont deux et se montrent laborieux. Au total, ils génèrent une pression de 2 bars. Afin de faire fonctionner trois cylindres avec deux turbos, ils ont pourvu chaque cylindre, non pas d'un seul comme d'habitude, mais bien de deux canaux d'échappement. Un nombre pair de turbo et un nombre impair de canaux d'échappement, ça ne peut pas marcher. Chez Koenigsegg, ils savent faire de nécessité vertu, en contrôlant les deux turbos séparément. Un d'entre eux fournit l'effort dès les bas régimes et l'autre pompe de l'air en masse pour une utilisation à haute vitesse de rotation. Pourquoi pas, puisque que vous avez deux conduits d'échappement.
Aussi rapide qu'un moteur de F1
Ce bloc trois cylindres peut également gérer des régimes moteurs inhabituellement élevés. Ce bloc, d'à peine 70kg, atteint les 8.500tr/min. A ce régime, dans la plupart des moteurs, les pistons voleraient à travers le capot. En raison de la taille relativement importante des cylindres (un alésage de 95mm et une course de 93,5mm) les pistons montent et redescendent à la vitesse hallucinante de 26,5m/s. C'est aussi rapide qu'à l'intérieur d'un moteur de F1 (qui atteint 15.000tr/min, mais a une course plus courte, qui fait 53mm).
Pourquoi un moteur normal casserait-t-il à ces vitesses et pas celui de Koenigsegg? Et comment le constructeur de niche suédois obtient à la fois plus de puissance et moins d'émissions de CO2, alors que son moteur répond à toutes les règlementations en vigueur en matière d'émissions ? Pour répondre à cela, il faut s'attarder sur les soupapes. Traditionnellement, les moteurs de production utilisent un arbre à cames pour actionner l'ouverture et la fermeture des soupapes d'admission et d'échappement, ainsi que pour en contrôler la longueur et le temps d'ouverture. Cela se produit mécaniquement, ce qui signifie que cela peut entrainer une cassure. L'augmentation de la vitesse de rotation, par exemple, a un effet direct sur la fiabilité opérationnelle.
Sans arbre à cames
Le trois cylindres Koenigsegg fait l'impasse sur ce genre de système mécanique. Il fait appel à des soupapes à commande pneumatique pilotées électroniquement. Une technologie Freevalve, un spin-off de la marque. Les avantages sont immenses. Pour commencer, vous pouvez vous débarrasser de certaines pièces mécaniques. Courroies, engrenages, arbres à cames et poussoirs… partis. Par conséquent, la friction générée par le moteur diminue. De cette manière, davantage de puissance parvient effectivement aux roues.
Si vous contrôlez les vannes individuellement et via un ordinateur, vous vous débarrassez également de la limitation d'un rapport fixe. Un moteur thermique n'est en effet optimisé que pour une utilisation spécifique. L'arbre à cames est effectivement fixe. Bon, il est vrai que certains moteurs disposent d'un arbre à cames réglable et offrent donc deux réglages, mais ça s'arrête là. Chez Koenigsegg, l'ordinateur peut évaluer tous les paramètres en permanence et les ajuster à la pression d'injection, au mélange du carburant et à l'allumage. Résultat : une augmentation conséquente du rendement moteur. En d'autres termes : plus de couple et de puissance et moins d'émissions nocives.
Pourquoi tous les moteurs ne disposent pas de soupapes à commande électronique ?
Vous êtes donc en droit de vous demander pourquoi n'y a-t-il pas plus de marques faisant appel à cette technologie. La réponse est très simple : c'est nouveau et c'est cher. Mais elle pourrait aussi être plus nuancée. Un plus gros volume de production pourrait rendre la technologie plus abordable. Et elle pourrait également générer des économies ailleurs. Cela vous permettrait par exemple d'équiper vos voitures de lignes d'échappement composées de moins d'éléments de post-traitement des gaz polluants. Freevalve est un pionnier, mais ils sont loin d'être les seuls à travailler ou à avoir travaillé sur un système similaire.
Puisque les réglages sont effectués à partir du cache soupapes, les marques automobiles n'ont même plus besoin de développer un tout nouveau bloc moteur. Les moteurs existants peuvent tout simplement être modifiés. Mais même là le bât blesse de nos jours. Les sous destinés au développement sont en effet désespérément nécessaires pour rapidement mettre sur le marché des modèles électrifiés. C'est ce qu'exige l'Europe. Pour de nombreuses marques, cela signifie clairement que le développement des moteurs thermiques conventionnels a été mis au placard. Par conséquence, une technologie qui pourrait apporter une amélioration significative à des millions de moteurs pourrait être condamnée d'avance.