Cela fait quarante ans qu'Audi a présenté sa transmission aux quatre roues. Elle a été baptisée 'quattro'. Le grand public en a fait la connaissance durant le Salon de l'Auto de Genève cette même année. Depuis lors, Audi a vendu plus de 10 millions de véhicules équipés de cette technologie. Une tendance qui s'est accélérée avec le temps. Il y a dix ans, le compteur n'était effectivement 'qu'à' 3,3 millions d'unités. La marque aux anneaux pense qu'il y en aura encore bien plus à l'avenir, car quattro devient électrique… Quoi qu'il en soit, voici l'histoire de comment tout a commencé.
D'abord, VW a dû acheter Audi
C'est VW qui a dépoussiéré le nome d'Audi dans le milieu des années soixante. Ce nom n'avait plus été utilisé depuis le début de la Seconde Guerre mondiale. Le problème c'est qu'Auto Union, racheté en plusieurs fois par VW pour 297 millions de DM (environ 150 millions d'euros) entre 1964 et 1966, était complètement dépassé. VW n'a pas uniquement ressuscité le nom, mais ils ont également apposé un nouveau slogan ''Vorsprung durch Technik''. Un compliment qu'Audi aime bien s'attribuer, mais en fait, il avait déjà servi chez NSU, une autre marque de Auto Union. Après la NSU Ro80, qui s'est avérée trop progressiste, la marque a dû être sacrifiée.
La main du maître
Le 3 mars 1980, Audi présentait donc la quattro durant le salon de Genève. Il aura fallu trois ans pour la fignoler, sous la houlette du brillant Ferdinand Porsche, alors responsable du département développement. Mais c'est en fait l'ingénieur châssis Jörg Bensinger qui en février 1977 a allumé la mèche. L'homme rentrait de Finlande, où se tenaient des essais hivernaux sous des températures extrêmes, de la glace et de la neige. Il y essayait des prototypes de milieu de gamme. Pour remettre sur la route les prototypes restés coincés dans la neige, l'équipe sur place utilisait une vieille VW Iltis. Et malgré son âge avancé, sa suspension primitive et sa modeste puissance de 75cv, ce véhicule tout-terrain VW n'avait aucun mal à tenir les Audi plus modernes à distance. De quoi faire mûrir l'idée d'adapter une transmission intégrale sur une voiture normale.
En fin de compte, la direction a fait un petit effort supplémentaire. Ce sera un coupé sport doté d'un puissant moteur et d'une transmission intégrale permanente, qui veillera à renforcer les ambitions de la marque, autant dans le domaine du sport automobile que sur la voie publique… le tout avec une bande son enivrante. Et c'est ce qui s'est passé.
C'est Ferdinant Piëch, petit-fils de l'autre Ferdinand – Porsche – qui a mené le projet à bien. Il a reconnu le potentiel. Il s'est souvenu que son grand-père avait déjà travaillé sur différents modèles à traction intégrale. Un tracteur pour l'armée autrichienne, une Lohner électrique dont les moteurs se trouvaient dans les roues et même une voiture de course de Cisitalia. Il a également fallu faire preuve de prudence, car le trio a seulement été consulté dans le but de faire des recommandations pratiques et non de développer un groupe motopropulseur. Aucun budget n'avait d'ailleurs été prévu à cet effet.
Les premiers prototypes
Le premier prototype, baptisée A1 (pour Allrad 1), n'était rien d'autre qu'un projet scientifique. Une Audi 80 rouge deux portes a été sacrifiée, et la technologie Iltis y a été implantée. Hans Nedvidek, qui avait déjà travaillé pour le compte de pilotes légendaires de Grand Prix tels que Sterling Moss ou Juan Manuel Fangio, s'est occupé de peaufiner le train arrière. Il a serré le cardan et la transmission de la boite de vitesse avec une bride. Cela fonctionnait bien dans la rudimentaire petite VW, cela devait donc fonctionner également ici. Pour faire place aux barres de liaison, un tout nouveau train arrière était nécessaire, mais il n'y avait pas de budget pour le développer. Ils ont donc utilisé un train avant, qu'ils ont ensuite tourné de 180 degrés et ont ajouté une barre de direction fixe.
Lors de la première phase d'essai, un moteur turbo de 160cv y a été installé. Après le feu vert du conseil d'administration, le nom de projet EA262 a été approuvé (Entwicklungsantrag 262). Deux mois plus tard, la première configuration pour la production en série a été déterminée par les ingénieurs et les prototypes ont été approuvés pour des essais sur la voie publique. Le premier obstacle vers la production en série était ainsi surmonté.
Simple mais ingénieux
Il y a eu ensuite un point délicat à résoudre, car la boîte de vitesse devait soudainement pouvoir transmettre la puissance dans deux directions différentes. Elle n'était pas faite pour ça. Mais un certain Franz Tengler, de l'équipe du développement des transmissions, a eu une idée de génie : il a utilisé un arbre creux pour transmettre la puissance au lieu d'un arbre plein. Cela permettait à un deuxième arbre de tourner aisément à l'intérieur et d'ainsi transmettre la puissance dans un autre sens. Ce système présentait également l'avantage d'être très léger.
A qui allons-nous vendre cela ?
Le second obstacle, le feu vert de la direction, semblait bien plus difficile à surmonter. Afin d'optimiser les chances d'obtenir un 'jahwol', le projet a été présenté aux décideurs de Wolfsburg lors d'essais de pneus dans la Turracher Höhe, le col le plus escarpé d'Europe. Heureusement, le patron de VW a été impressionné, mais pas sous tous les aspects. N'étant pas pourvue de différentiel central, la voiture avait tendance à sautiller dans les épingles à cheveux serrées et sèches. Il a donc été décidé par la direction qu'un différentiel central (qui compense la différence de vitesse entre les roues avant et arrière), était nécessaire.
L'accord arriva, mais ils hésitèrent. Les dirigeants de VW ne savaient pas vraiment s'ils allaient pouvoir vendre 400 unités d'une Audi à quatre roues motrices aussi sportive.
Arriva le jour J, le 3 mars 1980. A la veille de sa première au Salon de l'Auto de Genève, Audi organisa un événement spécial pour présenter la version 'coupé' de l'Audi 80. Sur une patinoire. Ferdinand Piëch a veillé à être là en personne pour déclarer : ''Ce que vous voyez-là est la première mondiale d'une transmission intégrale pour voitures de tourisme ordinaires''.
La ur-quattro
Le coupé d'Audi mesurait 4,40m de long et disposait d'un empattement relativement court de 2,52m. Elle avait reçu une carrosserie plus anguleuse et reposait sur des jantes Fuchs de seize pouces en fonte d'aluminium. Son moteur à cinq cylindres de 2.144cc développait une pression de turbo maximale de 0,85 bar et était équipé d'un refroidisseur d'air d'admission pour en maximiser l'efficacité. Le résultat était une puissance de 200cv tout rond et un couple de 285Nm dès 3.500tr/min. Avec à peine 1,3 tonne sur la balance, le 0-100 était avalé en 7,1 secondes, pour une vitesse maxi de 220km/h.
Audi a mis la ur-quattro au catalogue pour la coquette somme de 49.990 DM, soit environ 25.000 €. Beaucoup d'argent pour l'époque. Mais ce fut un succès immédiat. Ils en ont vendu 4.000 unités sur les deux premières années. Ils en ont produit 400 autres en vue de l'homologation en Groupe 4 pour le championnat du monde des rallyes. Elle fut produite jusqu'en 1991. Un facelift en 1987 apporta un différentiel Torsen et un plus gros moteur.
Audi Sport quattro
En 1984, Audi a poussé le bouchon un peu plus loin. Afin de maximiser ses chances au championnat du monde des rallyes, ils ont commercialisé la Sport Quattro. L'empattement était encore plus court, seulement 2,20m, et elle bénéficiait d'un nouveau moteur turbo, avec un bloc cylindres en aluminium développant 306cv. Le kevlar et d'autres matériaux légers ont été utilisés en masse. Seules 224 unités homologuées pour la voie publique ont été produites, dont l'exemplaire rouge figurant sur les photos accompagnant cet article. C'est juste ce qu'il fallait pour une homologation dans le fameux Groupe B. Des noms légendaires tels que Michèle Mouton, Stig Blomqvist, Hannu Mikkola et surtout Walter Röhrl ont pris le volant de ce monstre de rallye à quatre roues motrices d'Audi.